La guerre: ses charmants traumas et ses conséquences inattendues
Aujourd’hui, j’avais envie de te partager un pan de ma vie dont je n’ai jamais parlé.
Par pudeur, sans doute.
La guerre.
✨Pour illustrer cela, je t'invite à regarder mes photos personnelles publiées sur mon compte Instagram ICI✨
1990-1991, 2e guerre du Golfe. L’Iraq, après avoir été notre allié contre l’Iran, devient notre ennemi en attaquant le Koweït et l’Arabie Saoudite. Les Etats-Unis et leur coalition, avec l’aval des Nations Unies, entrent en guerre contre Saddam Hussein.
J’avais alors 5 ans et je vivais depuis 4 ans à Riyadh, la capitale de l’Arabie Saoudite. Mon père y travaillait depuis 6 ans déjà pour la famille royale saoudienne, en particulier pour le futur vice-Roi et Ministre de la Défense, le prince Sultan (aujourd’hui décédé).
De cette période de guerre qui a duré plusieurs mois avant d’être rapatriés en Belgique, j’ai gardé des sensations qui m’ont propulsées directement, et pour toujours, dans la violence de ce monde.
Le bruit, d’abord.
Les sirènes résonnaient, surtout en pleine nuit. Une tactique militaire bien connue qui consiste à éreinter les populations en les attaquant pendant leur sommeil. Les célèbres scuds de Saddam pleuvaient sur la capitale saoudienne. L’armée locale et ses alliés les interceptaient avec des missiles Patriote : en d’autres termes, les scuds explosaient dans le ciel avant de toucher le sol. Cela fonctionnait parfois. Parfois pas. Les scuds percutaient alors le sol en provoquant morts, blessés et dégâts.
Quoi qu’il en soit, l’un ou l’autre provoquait des bruits et des déflagrations épouvantables qui sont inscrits profondément dans mon corps.
Cette sirène qui nous hurlait, alors, "vite! cachez-vous! mettez-vous à l'abri!". Nous courions dans la salle de bain pour nous réfugier et écouter la radio (RFI). Pourquoi la salle de bain ? Pour avoir de l’eau et pour mieux capter la radio qui nous indiquait où les combats se situaient et à quel moment mettre nos masques à gaz et nos combinaisons.
Je savais que je pouvais mourir.
Je ne savais pas en quoi cela consistait exactement car à 5 ans, la conscience de la mort n’est pas encore tout à fait claire. Pourtant, je savais, mon instinct savait, que c’était très grave et que le danger était imminent. Que mes parents et moi-même pouvions à tout moment disparaitre sans que rien, ni personne, ne vienne ou ne puisse nous sauver. J’étais seule, j’étais terrifiée de mourir dans une explosion et aussi, de mourir intoxiquée par les armes chimiques.
Oui, parce que, j’ai oublié de te dire, mais Saddam aimait bien s’en servir, des armes chimiques. Si cela ne posait pas de problème de les utiliser contre les Iraniens et les Kurdes pour la Communauté Internationale (sic), c’était plus délicat quand il est devenu « notre » ennemi (ironie bonjour). Bref, il les utilisait et moi je devais porter ce foutu masque avec cette foutue combinaison censée me protéger, aimablement livrée par l’ambassade belge de Riyadh.
Du coup, j’en viens aux odeurs.
Et plus particulièrement celle-là, de cette combinaison. Ça sent encore le caoutchouc dans mon nez. J’avais du mal à respirer. Ce bruit de la respiration dans ce masque, les cartouches à changer, ce costume qui serrait mes mains et mes chevilles. Ce bruit de plastique, la réduction du champ de vision, le flou derrière cette vitre… Ca sentait la fumée dehors, le feu. Ca sentait la mort, l'anéantissement, la désorientation. Ne plus voir le chemin, ne plus percevoir le lendemain.
Il me reste la vision.
Certains flashs me parviennent, par bribes. Mon cerveau a effacé certains événements, Dieu merci. Mais ces flashs, témoins d’un traumatisme profond, me viennent encore en rêves aujourd’hui. Ou plutôt, en cauchemars. C'est devenu un sujet récurrent de blagues avec mon mari, histoire de désarmorçer leur violence.
Flash de ce scud tombé à quelques centaines de mètres de notre appartement avec une déflagration que je sens dans mon corps alors que je t’écris.
Flash de ces bâtiments désossés avec les affaires détruites des gens, morts ou partis.
Flash des voitures avec les quelques bagages de toute une vie sur les toits. Fuir.
Flash de l’avion C130 de l’armée française qui nous a ramenés à Paris en 19 heures de vol. Il y faisait tellement froid. Et je confirme, les biscuits militaires, c'est dégueulasse.
Flash de l’alerte à la bombe juste avant de monter dans cet avion sur le tarmac et devoir courir se réfugier dans un abri anti-missiles.
Flash de mon seul ami de l’'époque, Samer, qui me dit avoir perdu son œil et son papa dans une explosion.
Flash de mes parents hurlant et pleurant au téléphone pour avoir une place dans un avion de rapatriement.
Flash du retour en bus de Paris à Bruxelles. Il y avait grève des trains. Personne n’est venu nous chercher. Ni famille, ni ami, ni fonctionnaire.
Flash de l’indifférence totale.
Flash de m’être cachée dans la cave de mes grands-parents en arrivant car j’avais peur des bombardements.
Flash des journalistes venus interroger mes parents, quand même, ça fait vendre.
Alors, bien sûr, je ne sais pas te dire quelles sont les dates exactes car j'avais 5 ans. Sans doute que certaines images se sont modifiées avec le temps. J'en ai également travaillé certaines en hypnothérapie. Mais tout ce que je sais, c'est:
mon innocence s'est à jamais envolée.
De mon enfance, je garde un doux souvenir jusqu’à mes 5 ans. Puis, ce fut différent.
Depuis ce moment, j’ai gardé ce qui-vive, cette horreur des bruits soudains qui me surprennent.
(Bon, je ne t’ai pas encore parlé des attentats dans lesquels j’étais adolescente, mais ça viendra. Peut-être.)
Pour t’illustrer cela, je te donne un exemple concret : au concert d’ACDC cet été, j’ai été extrêmement mal à la fin. Et pour cause, avec les feux d’artifice, il y a eu des détonations pour illustrer leur chanson T.N.T. Je me suis figée, incapable de bouger, instantanément déclenchée par ce bruit. Mon corps fut plus rapide que mon esprit. Mon plaisir fut instantanément gâché. Je me souviens peu du concert à part cela, dommage. J'ai réussi à me calmer en pratiquant l'autohypnose (oui même à un concert de rock) et en serrant très fort la main de mon mari.
De mon enfance, j’ai gardé cette incompréhension totale de la guerre et de la violence. C’est, et ce sera toujours, un profond non-sens pour moi. Pourquoi tant de haine, de destruction ? Alors, en grandissant, j’ai voulu savoir. J'ai cherché à comprendre, avec mon mental. J’ai étudié les sciences politiques, travaillé pour les institutions… Et crois-moi, on passe beaucoup de temps à étudier les conflits qui jalonnent l’histoire humaine et la manière dont les populations en subissent les conséquences. A beaucoup comprendre sans jamais rien empêcher. A la fin, j’ai perdu une certaine confiance quant aux capacités des politiques à se rendre compte des souffrances inimaginables qu’ils infligent aux humains et à la nature. Sans doute parce que les puissants de ce monde ne vont que rarement au casse-pipe. Si c’était le cas, ils sauraient et ils feraient tout pour empêcher cela.
Aujourd’hui, j’écoute les gens et je fais mon maximum pour les aider à traverser leur propre guerre intérieure. Je suis devenue thérapeute pour apporter la paix dans le monde. Ça fait Miss Belgique de le dire comme ça, mais je l’assume. Parce que la justice et la liberté sont les valeurs fondamentales de mon être et que je ne voulais plus d’une vie qui n’avait aucun sens ni aucun impact, même minime, même infinitessimal. Sans elles, aucune paix durable et authentique n'est possible. Telle est ma façon de voir le monde.
Je t'ai déjà dit que la persévérance et mon indécrottable optimisme m'avaient sauvé la vie? Même au fond du fond, dans les purs et les pires moments de désespoir de ma vie, quelque chose au fond de moi restait, cette petite lumière d'espoir, cet "invicible été" (comme disait Camus). Quelques particules d''énergie et quelques mains tendues plus tard, je suis ici à te parler et te raconter, te promettre et te transmettre que oui, on peut se remettre de tout. Car oui, j'ai demandé de l'aide et cela a tout changé. Oui, on peut aller mieux et trouver du sens à sa vie.
La mienne, c'est d'oeuvrer pour cette paix intérieure pour qu'elle soit extérieure.
Aujourd’hui, je ne suis plus, trop, en guerre contre moi. Je ne te dis pas qu'il n'y a plus de moments bofs, voir carrément nuls, mais j'ai appris à surfer avec eux. Je me suis construit une vie douce, sécurisante, avec des relations de qualité. Avec beaucoup de silence, de solitude, de lenteur, de bienveillance. Autrement, je suis mal donc malheureuse. Je sais que cela vient en partie de mon histoire de vie percutée par une guerre que je n’ai pas demandée.
Aucun individu ne devrait à avoir subir ça.
Surtout, aucun enfant ne devrait avoir à subir ça. Aucun raisonnement n’est possible pour prendre la distance, les pertes sont forcément immenses, les souvenirs nécessairement gâchés, la peur et l’angoisse gouvernant absolument leur vie, vie sidérée et figée à tout jamais dans tout ce qui a été détruit.
En Europe, très peu de gens ont conscience de cela. Les personnes ayant vécu une vraie guerre sont aujourd’hui décédées ou très âgées et intéressent de moins en moins. Cela paraît si loin dans le temps et l'espace. J’étais étonnée de voir les réactions émotionnelles de ces pays par rapport à ce qui se passe en Ukraine…
En dehors du vieux continent, il y a une certaine conscience de la guerre et de ses conséquences, pour le pire et pour le meilleur. C’est pour cela que je tenais à témoigner aujourd’hui, 33 ans après. Parce que j’ai la peau pâle et que personne, ou presque, dans mon pays ne soupçonne cela de moi.
Et que ce décalage m’a fait souffrir. Ce décalage constant entre moi et ceux qui n'ont pas vécu la même chose et qui me regardent avec un air de merlan fris quand je m'exprime.
Cette indifférence m’a profondément fait souffrir.
Alors, je n’imagine même pas les réfugiés.
Je n’imagine même pas comment c’est aujourd’hui, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux où l’on peut voir ces massacres en direct. Quelles sont les conséquences de cette tiédeur ? Des injustices inimaginables, des actes d’égoïsme de plus en plus violents et acides, des États qui n’assument plus rien et sont à la botte des grands intérêts, des populations amorphes qui protègent leur petit confort plutôt que vouloir sauver l’humanité, sa population, sa culture, sa richesse.
J’espère que mon témoignage t'aura servi aujourd’hui.
C’est mon très modeste geste vers la paix :
une vie entière dédiée à guérir de ces traumatismes et à aider mes congénères à soigner les leur.
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